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Chapitre II

Publié le par Amelia


Chapitre II

- Vous me semblez bien lucide pour votre jeune âge, ma chère.
- Je ne suis pas si jeune, vous vous méprenez. Enfin, peut-être en apparence... Mais j'ai l'impression d'être vieillie par tout ce que la vie m'a fait endurer, comme si, en une année, il s'en passait dix!
- Je vois très bien ce que vous voulez dire. Le temps n'est effectivement pas toujours perçu de la même façon par tout le monde. Il est certain que le chagrin ne nous aide pas à faire passer les années plus rapidement, bien au contraire!
- Vous semblez si triste vous aussi, cela se ressent dans vos paroles et votre regard. D'ailleurs, vos yeux ont l'air translucides, comme si leur couleur avait été diluée par trop de larmes.
Un frisson glacé lui descendit le long du dos au moment où elle prononçait ces paroles. Cela en était terrifiant et agréable en même temps. Elle n'avait jamais ressenti une sensation si étrange auparavant.
- Vous lisez en moi comme dans un livre ouvert.
Il paraissait gêné, mais agréablement surpris.
- Veuillez me pardonner, je ne voulais pas vous paraître indiscrète ou impolie, je n'aurais pas dû vous dire cela.
- Il n'y a aucun mal, très chère, vous avez le droit de me dire vos impressions, je n'en suis point offensé. D'ailleurs, rares sont les personnes qui parviennent à tomber juste, les gens voient très peu au-dessous de la surface, de plus, je me suis créé une sorte de carapace, la tristesse est très mal vue dans la haute société, il faut toujours paraître enjoué et rieur si l'on ne veut pas être qualifié de "marginal".
- Cela doit effectivement vous peser énormément de dissimuler tout le temps votre vrai visage... enfin... vos émotions je voulais dire. Pardonnez-moi, je suis troublée.
Elle savait au fond qu'elle pensait à "visage", sans savoir pourquoi...
- Ce n'est rien, mais il semble que vous percevez réellement plus sur moi que je ne le pensais, cela m'intrigue, mais dès que je vous ai vu assise ici j'ai senti que vous aviez quelque chose de différent, cela doit être grâce à ça que vous discernez si bien l'âme des gens. Je ressens également énormément de tristesse en vous, elle coule dans vos veines, c'est sûrement aussi la raison qui, inconsciemment, m'a poussé à vous aborder, la douleur rapproche peut-être les individus qui la supporte en permanence.
- Il est possible, il est vrai, que Dieu puisse faire une telle chose pour nous faire comprendre que nous ne sommes pas les seuls à souffrir, pour que l'on ne s'apitoie pas sur notre triste sort, car il y a certainement quelqu'un qui vit bien pire ailleurs.
- Ma belle, je ne pense pas que Dieu ait quelque chose à voir avec cela, je pensais plus à la Destinée, sans fondamentalement la rattacher à Dieu, mais s'il s'agissait de Dieu, peut-être que tout serait tellement plus simple...
- Etes-vous athée mon Seigneur?
- Ahahah!
Son rire lui transperça les os tel un vent d'hiver mais résonna dans son coeur semblable à une douce mélodie, cela lui donna une sorte de vertige, si bien qu'elle en perdit la notion du temps et de l'espace.
- Ma belle... ma belle... vous vous sentez bien?
Elle eut un sursaut, comme lorsque l'on s'éveille d'un rêve.
- Pardonnez-moi, j'ai eu une sorte d'absence.
- Avez-vous assez mangé? Vous semblez faible.
- Non, pas depuis hier soir.
Murmura-t-elle, en se rendant de nouveau compte de sa misérable condition avec une angoisse qui lui serra le coeur.
- Ma pauvre enfant, permettez-moi de vous inviter en ma demeure pour vous restaurer quelque peu.
- Je... Je ne sais pas, ce ne serait pas correct, je ne suis pas de votre rang, je suis déjà amplement heureuse que vous m'adressiez la parole, les gens de votre condition ne lèvent même pas les yeux sur moi en temps normal.
- Oubliez les conventions voyons. Nous sommes presque deux personnes identiques quelque part, nous avons vécu des choses similaires.
- Ce ne serait pas convenable et...
- Quoi donc? Vous avez peur, c'est cela?
- N... non... Mais...
- Je le sens, vous avez peur que je ne sois quelque homme malveillant. Je vous promets que vous pourrez partir dès que vous le souhaiterez, je ne fermerai même pas la porte à clé si cela peut vous rassurer. Fiez-vous à vos impressions, je suis sûr que vous en avez très envie au fond.
Elle sentit ses joues s'empourprer sans savoir pourquoi, enfin si, elle le savait mais ne voulait pas se l'avouer. Cela lui semblait si loin le jour où elle avait cru avoir le droit d'éprouver ces sentiments. Du moment où elle perdit sa famille, elle s'enferma dans un deuil permanent, ne pensant plus que l'amour pourrait de nouveau lui être accordé un jour, elle pensait que le seul fait d'avoir survécu aux siens était un pécher et que sa tristesse inaltérable ainsi que sa vie misérable étaient sa seule façon d'expier. Mais, ce soir, elle se sentait presque coupable de ressentir cette émotion si soudaine, surtout que tous les séparaient, elle ne devait plus y penser, c'était absurde. Pourtant...
- Alors... J'accepte. Dieu vous bénisse pour votre immense amabilité!
Elle avait conscience, au fond, qu'elle n'aurait pas pu refuser son offre, comme si son avenir en dépendait. Encore une de ces intuitions qui lui arrivaient si souvent, si seulement elle avait su que celle qu'elle avait eu concernant le malheur de sa famille allait s'avérer exacte.
- Suivez moi, je vais nous trouver un fiacre, je crains que vous ne vous évanouissiez en chemin si nous partons à pieds.
Effectivement, le froid l'avait tellement engourdie qu'elle ne sentait presque plus ses jambes, pourtant elle ne s'en était pas aperçue. Le manque de nourriture et la maladie l'avait affaiblie il est vrai, mais elle savait que ce n'était pas la cause de sa faiblesse ce soir, elle se sentait plutôt comme envoûtée, de la même façon qu'elle l'était quand elle voguait dans ses douces rêveries.
Et c'était agréable... si agréable...