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Chapitre IX

Publié le par Amelia


Chapitre IX

- Après avoir plus ou moins repris mes esprits je sortis en courant du poulailler, regagnais le manoir et inspectais mon visage dans le grand miroir du vestibule. J'y trouvais de nombreuses transformations comme je le craignais, ma peau avait une pâleur cadavérique, mes joues s'étaient creusées et mes lèvres affinées comme si la Mort elle même avait voulu aspirer toute trace de vitalité de mon visage. Mes yeux... Diantre! Mes yeux eux aussi s'étaient métamorphosés, ils avaient la même opalescence que ceux de Sibylle quelques heures plus tôt. Leur couleur s'était évaporée et ils semblaient refléter toute la souffrance que j'avais en moi, telles deux vitres laissant transparaître l'âme meurtrie au tréfonds de mon crâne. Mon bandage était tombé et ma blessure s'était refermée, mon bras n'en gardait plus aucune trace. J'eus la confirmation de ce que je redoutais tant, Sibylle m'avait infecté en me mordant, me transmettant une part de l'élixir qu'elle avait en elle via mon sang. Comme j'étais encore vivant lorsqu'il a pénétré en moi, il s'est opéré une transformation inédite. Ma peau n'était pas putréfiée, mon coeur battait toujours, mes souvenirs étaient intacts, je pouvais parler et marcher normalement, de plus, je n'avais pas cette rage insensée qui semblait animer Sibylle. Par contre, une faim insatiable de chair crue, et surtout de sang, me taraudait les entrailles inlassablement. J'allais découvrir aussi, quelques heures plus tard, au lever du soleil, que mes yeux et ma peau avaient été fragilisés. Contrairement à ma bien-aimée, qui avait été morte puis réanimée, mon corps encore vivant avait donc produit une étrange alchimie avec l'élixir et je ne pouvais plus supporter la clarté du jour, j'étais littéralement ébloui par celle-ci, je ne pouvais plus rien y distinguer, quant à ma peau, le fait de l'avoir seulement laissée quelques minutes à la lumière du matin, le temps que je comprenne que cela me nuirait, s'était couverte de plaques rouges extrêmement douloureuses comme si j'étais resté exposé des heures sous un soleil de plomb, alors que le jour se levait à peine et que le ciel était nuageux. Je dus donc rester tapi à l'intérieur et ne pus même pas rejoindre le poulailler où je comptais me rendre de nouveau ce matin là, ma faim ne s'étant nullement calmée même après avoir dévoré deux des poules la nuit même. Je tentais de me sustenter de pain et de fruits en attendant le soir, mais, à peine quelques secondes après les avoir ingurgités mon estomac se contracta violemment et je ne pus m'empêcher de tout vomir, mon organisme ne supportait plus la nourriture classique. Je compris pour de bon que ma vie entière allait être bouleversée. Je devais cacher mon terrible secret ou j'allai être enfermé pour hérésie, ou, pire, tué et disséqué par quelque médecin peu scrupuleux. Je décidais donc de ne plus me rendre aux divers banquets et bals dont je recevais encore très souvent les invitations via des missives quotidiennes, ma présence étant toujours très appréciée grâce à mon érudition, et ma fortune cela va de soi. Je prétextais donc le deuil ou une fièvre cérébrale dans mes réponses écrites que je transmettais à leurs coursiers. Cela dura plusieurs mois, plus d'une année même, puis, à la longue, plus personne ne se souciait de m'inviter, on m'oublia petit à petit, n'ayant plus de famille ni de véritable ami à part Sibylle, personne ne vint non plus me rendre visite, je n'osais même plus aller à l'opéra de peur que l'on me reconnaisse et que l'on me pose des questions. Je sortais uniquement le soir pour aller m'approvisionner en viande crue et en volailles dans les fermes de la région. Je m'aperçus même qu'au bout de quelques temps la viande n'était plus assimilée par mon organisme, je ne pouvais plus avaler que du sang.
Telle est donc ma terrible malédiction, je ne l'ai révélée à personne durant ces quatre-vingt-trois longues années. Oui, vous avez bien entendu, j'avais trente-deux ans lorsque tout cela m'est arrivé et je n'ai pas pris un seul signe de vieillesse en plus depuis que l'élixir a envahit mon être.
Je vous ai donc conviée ici pour savoir si partager cette éternité avec moi, en devenant la même créature que je suis, vous serait concevable?