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Chapitre X

Publié le par Amelia

Chapitre X

Elle était tellement abasourdie par toute la terrible et si étrange histoire qu'elle venait d'entendre que cela lui semblait impossible. Cependant, elle comprenait à présent pourquoi cet homme avait cette allure si étrange d'ange déchu, avec sa peau d'albâtre, ses gestes si délicats, voire alanguis, et la froideur de son corps, témoin de l'empreinte de la Mort qu'il garderait à tout jamais. Elle réfléchissait à tout cela, si bien qu'elle n'osait toujours pas parler et donner sa réponse.
- Pardonnez-moi, je vous demande une chose tout à fait troublante et je ne me suis toujours pas présenté à vous. Je m'appelle Grégoire de Valorent. J'habite cette demeure qui fut la résidence d'été de mes parents depuis trente-deux années. En effet, j'ai dû déménager des lieux où s'est déroulée l'histoire que je vous ai conté car certains voisins me remarquaient sortir la nuit et, au fil des années, il se demandèrent pourquoi je ne semblais pas vieillir, j'ai donc eu des visites importunes de personnes venues m'espionner et j'entendais les murmures des gens que je croisais lorsque j'allais m'approvisionner et qui se retournaient sur mon passage. Même si je changeais sans cesse de fermes où trouver mes "vivres", si je puis dire, je compris que le bouche à oreille jouait contre moi. Mon secret allait être découvert un jour ou l'autre et on ne tarderait pas à venir immoler "l'étrange noble qui se nourrit de viande crue" comme ils m'appelaient. J'ai donc décidé de dire adieu à ma demeure et de rejoindre celle-ci. Elle n'avait pas été habitée depuis plusieurs décennies, j'eus peur de la trouver pillée ou partiellement en ruines, mais, à part une immense couche de poussière, tout était resté intact depuis la dernière fois où j'étais venu y passer quelques jours avec Sibylle et mes parents. Ah! Doux moments d'un passé perdu pour toujours! Je recommençais donc une nouvelle vie ici-même, non sans avoir oublié d'emporter mes titres de propriété pour cette demeure et les terres alentours au cas ou quelques curieux seraient encore venus me demander qui j'étais. J'aurais prétexté être le descendant du propriétaire et avoir hérité de la demeure, ce qui, quelque part, était vrai même si je n'étais pas l'arrière-arrière-petit-fils comme cela aurait dû. J'amenais également quelques vêtements, et, bien sûr, tout mes bijoux et autres pièces d'or qui me permettraient de vivre encore d'innombrables années sans être dans le besoin, voire même acheter une autre demeure, et vendre celle-ci, si je rencontrais encore les même problèmes au bout de plusieurs années, car je ne pourrais plus revenir là où s'était déroulée ma tragédie, ces lieux seraient à jamais pour moi le symbole de ma damnation, j'y étais resté trop longtemps, les murs étaient imprégnés de tristesse, c'était mieux, finalement, que j'emménage ici. Je pouvais renaître et essayer de connaître un semblant de bonheur. Je recommençais à fréquenter les opéras et les théâtres, cette nouvelle ville étant beaucoup plus vaste que la précédente j'espérais passer inaperçu. Cela faisait tant d'années que je n'osais plus sortir, j'étais transcendé, cela m'avait tant manqué. J'essayais cependant de me faire discret, n'adressant la parole à personne, et ne répondant que brièvement à ceux qui me l'adressait. Je commençais un élevage de volailles et de porcs, ce qui m'évita de m'approvisionner dans les fermes, évitant ainsi la curiosité incessante des gens. Cependant, je dois encore vous révéler une dernière chose avant que vous ne preniez votre décision: le sang animal n'est plus suffisant au bout de quelques années. Il est un excellent palliatif à la nourriture et maintient en vie, mais il y a une quinzaine d'années, je compris qu'il ne me suffisait plus. J'étais en effet atteint de fatigue, de maux de tête et de vertiges incessants, j'allais donc essayer de trouver quelques cataplasmes qui auraient pu me soulager chez l'apothicaire. C'était une fin d'après-midi d'hiver où le soleil était déjà couché, j'entrais dans la boutique, j'étais seul avec l'apothicaire, il me salua et, de façon inattendu, une pulsion meurtrière me monta du fond des entrailles et je me jetais sur lui. Je lui déchirais la gorge d'une violente morsure, le sang embrasa ma bouche et se déversa de façon tellement réconfortante dans tout mon être qu'il chassa tous mes maux au fur et à mesure que je l'aspirais hors de ce pauvre innocent. La sensation de bien-être qui m'envahissait était même au-delà de l'orgasme. Le sang des animaux ne m'avait jamais provoqué cela, c'était comme manger quelque chose de fade juste pour survivre, alors que, là, c'était prendre une essence vivante pour faire renaître chaque parcelle de mon corps à demi-mort. J'eus l'impression de ne plus pouvoir m'arrêter de boire, je captais également, au bout de quelques secondes, le flot incessant des pensées et des souvenirs de cet homme, c'était enivrant et totalement déstabilisant, puis le contact se rompu d'un coup, ce fut comme si l'on m'avait frappé violemment à la tête, j'étais sonné, je relâchais mon étreinte, il était mort. J'étais quelque peu paniqué mais je ne perdis pas une seconde, je trainais son corps jusqu'à ma calèche devant sa boutique, heureusement la rue était déserte, je le cachais sous les sièges, je retournais chez moi, puis allais l'enterrer au fin fond de ma forêt. Je rentrais et m'assis pour réfléchir à ce terrible accident, tout c'était passé si vite, je ne comprenais pas. Je sentais encore le sang de cet inconnu pulser dans chacune de mes veines, cela faisait délicieusement vibrer mon corps qui semblait envahit d'une puissance nouvelle et euphorisante. J'avais pratiquement l'impression d'être de nouveau normal, mais le prix à payer était une vie humaine. Une seule tous les six ou sept mois est suffisante à apaiser mes souffrances pendant ce laps de temps, je l'appris par la suite. Cela pourrait paraître horrible de tuer ces personnes, et sembler beaucoup de vies à sacrifier, mais le monde regorge tellement d'êtres abjects qu'il est aisé de les en débarrasser sans aucun remord, de plus, dans une aussi grande cité que celle-ci, cela passe totalement inaperçu.
Il marqua une pause puis me regarda droit dans les yeux et me redemanda:
- Me suivrez-vous dans cette vie de sang et de violence, mais où les mots amour et éternité prennent tout leur sens? Acceptez, je vous en conjure.
- Oui, je vous suivrai!